Il règne aujourd’hui un climat plutôt tendu dans le monde du tennis de haut niveau. La bataille que se livrent l’ATP et l’ITF, conjuguée à l’arrivée de Gerard Piqué comme super‐investisseur de la nouvelle Coupe Davis, a mis le feu aux poudres. Cela rappelle des souvenirs à nos « sages » que nous sommes allés interroger, mais cela augure aussi des moments de flottement alors que le circuit semblait se porter à merveille. Alors à qui la faute ? À Roger Federer, tout‐puissant ? À Novak Djokovic qui veut endosser le costume du grand patron ? À une période rêvée – bientôt terminée ? – où le Big Four a fait exploser tous les compteurs ? À une fédération internationale archaïque et dépassée ? Nous avons tenté de répondre à ces questions en allant à la rencontre de personnes d’expérience, qui ont un vécu de joueurs, d’organisateurs et dans le marketing. Le bilan est clair, net et précis.
Pierre Barthès : « Il aurait fallu mettre tout le monde autour d’une table »
La particularité de Pierre Barthès est d’avoir vécu en direct le passage du monde amateur au professionnalisme. Son œil avisé sur la situation d’aujourd’hui vaut le détour.
Pierre, tu as longtemps joué à une période où il y avait des tumultes en ce qui concerne l’organisation du tennis…
C’est le moins que l’on puisse dire. Je n’ai pas pu jouer la Coupe Davis pendant six ans parce que j’étais professionnel alors que le tennis était encore amateur. Pendant cette période, je n’ai pas pu non plus entrer à Roland‐Garros, c’est quand même incroyable ce que j’ai vécu… Ensuite, j’ai participé au boycott de Wimbledon en 1963, donc j’ai été de ceux qui ont créé l’ATP. Il faut dire que ce sont surtout d’anciens joueurs bannis qui ont été actifs et conscients qu’il fallait le faire pour que les choses évoluent et que l’on puisse tous passer professionnels. À l’époque, Lamar Hunt, qui avait créé le circuit WCT (World Championship Tennis), était décrié mais c’est quand même grâce à sa vision du tennis et l’argent qu’il a investi qu’il y a eu une vraie prise de conscience du potentiel économique du tennis en tant que spectacle. Je le défendrai toujours, car je lui dois ma carrière.
Aujourd’hui, l’agitation autour de la Coupe Davis, comment l’analyses-tu, toi qui es un vrai défenseur de cette épreuve ?
Aujourd’hui, Novak Djokovic instaure peut‐être un certain dynamisme, mais c’est un peu tard. Jadis, certaines prises de position ont été importantes au moment où l’ATP était en train de refaire son circuit. Avec le recul, je me dis que si les joueurs veulent faire bouger les choses, ils le peuvent. Souvenez‐vous quand l’ATP a voulu déclasser le Monte‐Carlo Rolex Masters. Nadal et Federer étaient tout de suite montés au créneau pour défendre le tournoi et tout était vite rentré dans l’ordre. Concernant la Coupe Davis, ils auraient aussi pu la défendre ou évoquer une idée, ils n’ont pas fait grand‐chose. Aujourd’hui, l’histoire de la lettre qu’ils auraient signée pour boycotter la nouvelle formule vient un peu trop tard, je trouve…
Es‐tu surpris des effets d’annonce de Gerard Piqué ? Cela te rappelle peut‐être des souvenirs…
Je ne sais pas quelle surenchère il est en train de faire, mais il ne fera rien sans les joueurs. Aujourd’hui, ces derniers ont pris position. Je ne m’attendais pas à ce genre de choses, pas de cette manière. On les entend souvent se plaindre du calendrier mais dès qu’ils ont une semaine de libre, ils jouent en exhibition, donc le débat est un peu compliqué. Si on rajoute à cela l’idée de l’argent, on arrive vite à une impasse.
On a l’impression que l’ITF a perdu son pouvoir…
Je pense que l’ITF a joué son rôle, mais ils n’ont pas bien assumé pour la Coupe Davis. Ils n’ont pas su trouver des solutions parce qu’ils ont fait cela à l’écart, sans réelle concertation. Selon moi, il aurait fallu être sincère et mettre tout le monde autour d’une table, tous les acteurs, cela aurait forcément débouché sur un compromis et sur un projet où tout le monde se serait engagé. Aujourd’hui, c’est finalement tout l’inverse.
Pierre Barthès a été vainqueur du double à l’US Open en 1970 avec Niki Pilić, joueur de Coupe Davis (15 sélections), quart de finaliste à Roland‐Garros en 1965. Sa carrière débute en 1959 et se termine en 1980. Il a été numéro 1 français en 1972. Vice‐président de Havas Sport par la suite, il est aussi devenu un spécialiste du marketing sportif. Chaque année, il est présent porte d’Auteuil dans sa loge située non loin de celle de Ion Tiriac.
Publié le mardi 4 décembre 2018 à 16:14